L'adolescence et la jeunesse

IV

L'ADOLESCENCE ET LA JEUNESSE

« L'expérience est le meilleur des maîtres, avec

cet avantage qu'elle vous donne des leçons

particulières. »

 

Ces deux années d'études primaires terminées, Victor Simon va connaître une adolescence pénible et tourmentée et pour tout dire instable, à première vue. Il va chercher sa voie, en tâtonnant ; il va essayer plusieurs métiers, à travers lesquels il se sentira de plus en plus attiré par tout ce qui touche à la mécanique et à l'électricité, deux branches qui prennent alors un grand essor et qui doivent infailliblement attirer un esprit chercheur.
A sa sortie de l'école communale, il ne retourne pas à son premier métier. Les charbonnages sont en pleine activité dans la région et une main-d'oeuvre nombreuse y est requise. C'est dans cette voie qu'il va d'abord s'aiguiller.

A - L'apprentissage pratique d'un métier
1.- TRAVAIL A LA MINE.

A l'âge de 15 ans, Simon, après avoir d'abord grappillé des gaillettes sur les terrils, puis avoir travaillé au triage même, va descendre dans la mine, non pas par goût personnel, mais contraint par son père. A cette époque, un de ses frères, occupé dans un atelier mécanique, tombait fréquemment en chômage, c'est-à-dire sans ressources. Or, à la fosse, on ne chômait jamais ; l'emploi était infiniment plus sûr, mais aussi combien plus dur ! C'est la raison pour laquelle Victor Simon se voit imposer l'obligation de travailler au fond. Et c'est ainsi que nous le trouvons occupé à pousser des wagonnets dans les galeries de mine, pendant un an (de 15 à 16 ans).
Ce travail n'est pas fait pour lui plaire. d'autant plus que de vieux mineurs l'encouragent plutôt à quitter ce triste métier, lui représentant qu'il pourrait toujours y revenir s'il ne parvenait pas à se tirer d'affaire ailleurs. Sa décision est bientôt prise, il se refuse à s'enliser dans ce pénible labeur souterrain et, après mûre réflexion, il décide d'aller habiter avec sa soeur, laquelle l'avait fortifié dans son projet de quitter la mine et d'aller travailler en usine. Cette soeur, à qui il a voué une affectueuse et profonde gratitude, l'a toujours encouragé et l'a guide pendant des années et surtout dans les « passes » difficiles.
Il va maintenant et véritablement chercher sa voie, un peu à tâtons, mais toujours guidé, instinctivement peut-étre, par son aspiration à tirer parti de son esprit inventif et de son désir d'augmenter toujours ses connaissances techniques et son savoir-faire. Il rencontrera des difficultés, des échecs, des jalousies, des injustices, mais, luttant courageusement à travers obstacles et embûches, il avancera sans cesse et finira par « percer » et maîtriser sa destinée.

2.- TRAVAIL D'ATELIER ET D'USINE,

Suivons-le dans ses pérégrinations et voyons les étapes caractéristiques de son élévation progressive. Celle-ci comporte deux phases bien marquées :

1) Au début, à l'âge de 16 ans et après s'être libéré de la tutelle familiale opprimante, il se dirige vers l'industrie du fer, guidé par son instinct d'ajusteur-né, Il y restera jusqu'à l'âge de 23 ans et bifurquera alors vers l'électricité industrielle.

Au cours de cette première phase, il occupe successivement les emplois ci-après :
-aide-forgeron aux Forges de Hayettes ;
-boulonnerie Cambier : fabrique d'outils ;
-ateliers Brison à Hayettes : montage de wagonnets ;
-usine Beaume-Marpent à Morlanwelz : montage de wagons ;
-usine Beaume-Marpent à Haine-Saint-Pierre : outillage ;
-usine Hiard à Haine-Saint-Pierre : montage de voitures de chemin de fer ;
-forges de La Hestre : montage de locomotives ;
-usine Caille, à Denain (France) : montage de locomotives.
Dans ces derniers emplois, il est aide-ajusteur.

En 7 ans, Victor Simon a donc fréquenté huit usines différentes, non par caprice mais pour un salaire meilleur ou parfois par suppression d'emploi.
Dans chacune il acquiert des connaissances techniques complémentaires, de plus en plus larges et plus complètes. Dans sa formation, chaque fonction remplie est un « stage » nouveau. Il n'y a nullement instabilité professionnelle, mais progrès constant, car, parti du modeste emploi d'aide-forgeron, il en est arrivé, en passant par l'outillage, le montage de wagonnets, puis de wagons, puis de voitures, au montage de locomotives. Il s'est ainsi fait la main et la mécanique n'a plus de secret pour lui.

2) Dès lors, ceci acquis, il prend une nouvelle orientation. L'électricité industrielle est alors en plein développement ; elle pénètre partout, qu'il s'agisse d'éclairage, de force motrice, de traction, partout le moteur électrique s'impose en maître ! Quelle tentation pour un esprit épris de nouveautés et de recherches ! Aussi ne devons-nous pas nous étonner de voir Victor Simon attiré dans cette direction.

Et en 1911, à l'âge de 23 ans, il entame cette nouvelle phase de sa formation générale. Suivons-le.
Il revient d'abord aux charbonnages de Mariemont-Bascoup, où il est chargé de la conduite et de l'entretien d'une centrale.

Il passe ensuite aux Vicinaux de La Louvière où il prend en charge l'entretien des motrices et du matériel roulant.

Et enfin le voici aux ACEC (Ateliers de constructions électriques de Charleroi).

3.- TRAVAIL DE MONTEUR-ELECTRICIEN.

Nous sommes en 1912 ; Victor Simon a 24 ans. Aux ACEC il se trouve dans son élément : il va faire du montage extérieur. C'est ainsi qu'il est envoyé à Evere pour participer à l'installation d'une sous-station destinée à alimenter en 220 V continu la ligne de tram Evere - Place-Sainte-Marie, en remplacement du tram à vapeur. Il a la chance de former équipe avec des électriciens de première force. Il se rappelle qu'ils sont un jour parvenus avec des moyens rudimentaires, à décharger une commutatrice qui pesait plus d'une tonne ; ce qui fut un tour de force, c'est-à-dire, pour lui, une nouvelle leçon de choses, sans omettre l'acquisition de tours de mains, l'établissement de croquis, la réalisation de câblages et l'installation de divers types d'appareils électriques.

Peu après, ses chefs reconnaissant ses grandes aptitudes, il gravit un échelon de plus ; il fait son entrée dans la Haute Tension ce qui n'est pas à la portée du premier venu et exige adresse, prudence et grande pratique de toutes les techniques. Il est ainsi envoyé à Merxem près d'Anvers pour aider au montage d'une cabine H. T. Il revient ensuite aux Houillères d'Anderlues pour y installer un dispositif de sécurité sur le moteur actionnant Le ventilateur aspirant l'air vicié de la mine.

De là, il est renvoyé à Anvers et refait connaissance avec la H.T. ; comme à Merxem, il participe au montage d'une cabine.
Et enfin, le voici au Fort de Vieux-Dieu. Nous sommes en 1914. C'est la guerre ; les forts de la Position fortifiée sont mis en état de défense et certains réseaux de fils de fer barbelés sont mis sous H. T.
Sa vie d'ouvrier spécialisé se termine ici. La guerre va le saisir, lui aussi !

4 - CONSIDERATIONS SUR CETTE PERIODE D'AVANT-GUERRE.

Celui qui croirait que Victor Simon a « papillonné » et perdu son temps se tromperait lourdement. Tout au long de ces expériences vécues transparaît d'une part son esprit de chercheur et, d'autre part, son sens de l'indépendance, sa volonté de ne pas se laisser enliser et de marcher de l'avant. De son esprit inventif, nous avons bien des preuves.

En 1912, aux Tramways de La Louvière, il réalise et met au point un outillage spécial destiné à limer en biseau les fils de cuivre qu'il doit souder bout à bout ; de la sorte, il éliminera toute surépaisseur, gardant le calibre initial qu'il faut respecter, car ces fils doivent être rebobinés sur un électro de moteur de motrice. C'est là aussi qu'il remplace au pied levé un bobineur et qu'il réussit du premier coup ce travail délicat de réparer un moteur électrique dont une section avait brûlé.

Lors de son passage aux Houillères d'Anderlues, il se rend compte que les plans d'un dispositif qu'il est chargé de réaliser sont entachés d'erreur ; il va saisir l'occasion de sa plus belle réalisation mécanique ! Laissons-le parler :

« De cette erreur, j'avais averti mon ingénieur des ACEC, qui me pria d'aller montrer mes propres plans au chef du bureau des études, ce que je fis avec de fameux battements de coeur ! Mes plans furent admis et je quittai le chef de bureau sur une bonne poignée de main... et un soupir de soulagement ! Le chef d'atelier du charbonnage m'autorisa à façonner mes pièces sur place, avec le concours de ses ouvriers spécialistes. Une fois mon système installé, il fut mis en marche et le tout a tenu bon jusqu'en 1953, soit pendant 40 ans. Cet appareil était destiné à empêcher de lancer le courant dans le moteur avant d'avoir descendu les balais, faute de quoi les systèmes de sécurité de la Centrale sautaient et il en résultait de graves perturbations sur le réseau. »

B- L'apprentissage théorique

L'apprentissage de techniques, même poussées et accompagnées de recherches et de réalisations personnelles, ne sort pas du domaine manuel pratique, destiné à former de bons ouvriers ; mais Victor Simon vise plus loin et mieux. Il se rend vite compte que faute d'une formation théorique correspondante, il ne pourra jamais maîtriser les capacités qui sont indispensables au progrès de ses connaissances. Ses dons personnels ne pourront fructifier s'ils ne sont fécondés par une culture qui lui manque et que n'ont pu lui inculquer ses maigres études primaires.
Et ici s'ouvre un nouveau volet sur sa vie laborieuse intense.
Résolument, courageusement, il va se remettre à l'étude. Il a la chance de trouver sous la main l'instrument qui lui faut ; je veux parler de l'Ecole Industrielle de Morlanwelz. En annexe II figure une étude sur cette remarquable institution qui fit tant de bien dans la région et aida tellement au progrès par la formation des cadres de maîtrise dans notre industrie locale.
Voyons quelles furent ces études.
Dès le moment où il décide d'orienter ses activités professionnelles vers la mécanique, il prend la résolution de suivre les cours de cette école. Il y prend inscription en octobre 1906 (il a alors 18 ans 1/2).
De 1907 à 1909, il participe aux cours préparatoires généraux il faut bien qu'il reparte du début... et c'est dur à cet âge ! Mais les résultats sont éclatants. En effet, il se classe deuxième sur 19 élèves, avec une moyenne de 86 %. Nanti de ce premier bagage scientifique, il entreprend les cours de physique et de mécanique. En 1910, il obtient son diplôme de technologie des ateliers et il passe aussitôt aux études d'électricité industrielle, dont il obtient le diplôme en 1911. Il ne s'arrête d'ailleurs pas en si bon chemin et, de 1911 à 1913, le voici aux cours du Musée de l'Etat, à la section supérieure des électriciens. A la fin de l'année scolaire 1912 - 1913, il reçoit son dernier diplôme de capacité, avec distinction (76,3 % des points). Il est le premier ouvrier a avoir mérité ce diplôme ; les matières de l'examen de sortie ont porté sur :
- technologie des ateliers,
- résistance des matériaux,
- électricité industrielle,
- dessin industriel et hygiène.

Ainsi donc en juillet 1913, à 24 ans 1/2, le voilà nanti d'un bagage scientifique en rapport avec les emplois, de plus en plus hautement qualifiés, qu'il a exercés jusqu'alors. Formation technique et formation théorique scientifique ont marché de pair.

Voilà les « états de service » de Victor Simon, de 1904 à 1914. Dix années, marquées par 11 étapes, le menant à un degré de connaissances, élargies à plusieurs domaines.

Des perspectives d'un bel avenir dans la branche électrique semblent s'ouvrir devant lui. Mais la guerre survient qui va tout bouleverser, comme en tant de choses !

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