3 La construction du mythe
Il est troublant de lire deux récits à ce point
semblables expliquant le point de départ d'une idée
de génie.
L'histoire tient du mythe : les deux inventeurs sont dans leur
cuisine, les épouses leur servent une purée de pommes
de terre mal écrasée, empâtée et pleine
de grumeaux. Renseignement pris, la cuisinière s'est servie,
pour préparer son plat, d'un appareil non rotatif utilisant
une pression de haut en bas : un pilon de bois pour Mme Simon,
avec une passoire en aluminium ; un appareil allemand avec plusieurs
tamis interchangeables pour Mme Mantelet (il s'avère qu
'elle s'est trompée de tamis).
Bref, après ce mauvais repas, les deux hommes s'enferment dans leur atelier et ressortent triomphant, une passoire à manivelle à la main Le croquis des deux hommes étant bien sûr encadré par leur femme et accroché dans la cuisine !
La mise au point du Moulin-Légumes ou du Passe-Vite fut sans doute longue et laborieuse. Jean Mantelet, en génie de la publicité, diffusa la légende et contait toujours avec bonhomie « son » histoire. Il comprit très vite que la vision de la réussite rapide évoquait un je-ne-sais-quoi de miraculeux qui allait fasciner les foules. L'histoire de son invention, il l'a lui-même raconté en 1991, juste avant sa mort, dans un petit recueil fort à propos Suite à une purée mal écrasée, j'ai bâti un empire industriel.
Plus troublant est le procès en contrefaçon qui débute en 1938. Le 10 octobre 1938, des huissiers envahissent plusieurs magasins de couleurs et quincailleries de l'agglomération lyonnaise pour saisir des Moulins-Légumes fabriqués par la manufacture d'Emboutissage de Bagnolet, devenue Moulin-Légume. La saisie est effectuée à la demande des sieurs Simon et Denis. Rien ne pourra arrêter le procès. Le 9 juin 1939, le Tribunal de Première Instance de Lyon décide qu'il y a eu contrefaçon et fait défense de continuer à fabriquer et à mettre en vente les appareils contrefaits. Le 10 avril 1940, la cour d'appel de Lyon confirme le jugement. Le 26 mars 1946, la chambre civile de la Cour de Cassation annule l'arrêt rendu entre les parties. Le 2 mai 1947, la cour de Dijon donne raison à la société Moulin-Légumes, et estime, que, faute d'avoir été exploité en France avant le 23 avril 1932, le brevet de Victor Simon est frappé de déchéance. Leur action en contrefaçon est irrecevable. Moulin-Légumes peut vivre. En fait, Mantelet ne gagne pas sur le fond mais ses avocats vont exploiter à merveille une vieille loi que le législateur n'a pas eu le temps de réformer. En 1844, pour protéger l'économie française, une loi stipulait que les inventeurs n'ayant pas exploité en France leur brevet dans un délai de trois ans à compter de la date de dépôt étaient déchus de leurs droits. Simon et Denis avaient distribué mais non fabriqué en France.
En fait, il semble que Victor Simon aurait eu des problèmes
d'étamage et aurait très vite envoyé son
commercial en France vendre son Passe-Vite et rencontrer des étameurs,
dont probablement Jean Mantelet.
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